Description

Les fondements de la distinction entre massifs et comptables et les lieu-forme de son codage en langue sont des thèmes de recherche de grande actualité. Ce qui fait la complexité, et l'intérêt particulier de la distinction massif-comptable est qu'elle se pose à différents niveaux, s'appliquant aussi bien aux choses dans le monde, à notre façon de les conceptualiser et aux expressions que nous utilisons pour y faire référence. Cette distinction est donc multiple, relevant, dans ses différentes dimensions, de la philosophie (ontologie et philosophie de l'esprit), des sciences cognitives (conceptualisation et apprentissage du langage), et de la linguistique (sémantique et syntaxe). L'objectif de ce colloque est de contribuer à établir une nouvelle direction de recherche à l'interface entre ces disciplines.
  • Les linguistes se sont penchés sur la structure syntaxique et sémantique des noms massifs (e.g. de l'eau, du sable) par opposition aux noms comptables (e.g. une personne, une table). Il existe en effet une importante littérature syntaxique sur le sujet, traitant de la distinction massif-comptable en rapport avec la quantification, les constructions plurielles, les modificateurs numériques et les termes de mesure. Sur le plan sémantique, la distinction massif-comptable soulève également des questions importantes, telle que la possibilité d'identifier des propriétés sémantiques élémentaires caractéristiques des noms massifs et comptables respectivement, l'analyse des interprétations distributives et collectives des constructions comportant des noms massifs et des noms comptables pluriels, ou encore l'interprétation générique de telles constructions.
  • Les philosophes, quant à eux, se sont depuis toujours intéressés au statut ontologique des individus et des substances (substance première vs. substance secondaire chez Aristote), à la question du primat de l'une par rapport à l'autre de ces catégories, à leurs conditions d'existence, d'individuation et d'identité.
  • Enfin, l'approche psycho-linguistique expérimentale s'est récemment emparée de la distinction massif-comptable, mettant au point des dispositifs expérimentaux visant, par exemple, à tester le rôle de la reconnaissance des objets dans le développement linguistique et la lexicalisation de cette distinction, étudier l’âge et la façon dont les enfants apprennent à utiliser les génériques, à individuer les objets et à les distinguer des substances qui les composent.
Un des postulats implicites de nombre des travaux menés jusqu’à présent semble avoir été que ces différentes approches et questionnements devaient permettre d’éclairer des aspects d'une même "réalité". Il a ainsi longtemps été admis que la distinction linguistique entre noms comptables et massifs recouvrait une distinction ontologique fondamentale, les différences de comportement sémantique et syntaxique se faisant le reflet de la différence ontologique entre substances et objets. De façon analogue, il est encore commun de penser que la façon dont nous conceptualisons le monde reflète la structure profonde de celui-ci, du moins dans ses clivages les plus fondamentaux, notre mode de conceptualisation faisant le pont entre la nature profonde des choses et la façon dont nous en parlons.

Or, les travaux les plus récents tendent à bousculer cette image "idyllique". Il a ainsi été mis en évidence que toutes les langues ne marquaient pas la distinction massif-comptable de la même façon, ou encore que des noms traditionnellement considérés comme des noms comptables avaient néanmoins des emplois massifs. Les récentes avancées ouvrent donc sur de nouvelles questions et de nouvelles voies de recherche, et amènent à repositionner le rapport entre les différentes dimensions de la distinction massif-comptable.

Par ailleurs, l'étude des constructions dans lesquelles les noms communs jouent le rôle de (quasi-)classificateurs semble pouvoir apporter un nouvel éclairage à l'étude de la distinction massif/comptable. En effet, de récents travaux commencent à explorer cette problématique, ouvrant sur un nouveau champ d'étude prometteur. Ainsi, les noms sortaux, de mesure, mais aussi des noms plus légers comme "un type" ou "une sorte" semblent pouvoir jouer un rôle réificateur et discrétisant. Ce constat invite à réexaminer le rôle sémantique des noms dans la perspective de la distinction massif/comptable. Cela appel en particulier l'examen, sous ce nouvel éclairage, de la classification standard des noms et de leur rôle sémantique (au delà de la simple attribution de propriétés) selon leur position dans la phrase.

Il semble clair que de telles recherches ne peuvent alors se passer d'un dialogue réellement interdisciplinaire, et c'est précisément ce que propose ce colloque. Il s'agit d'apporter une plateforme d'échange à la fois intellectuel et institutionnel, nécessaire à l'appréhension des nouvelles questions qui s'ouvrent actuellement concernant la distinction massif-comptable. Ce colloque multidisciplinaire va sans aucun doute faire avancer le débat scientifique sur le sujet, ainsi qu'en faire évoluer la méthodologie.

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